Intervention de Bertrand MATHIEU
Vice-président du Conseil national de l’ordre national des architectes
J‘ai lu donc rapidement les thèmes de vos ateliers et entendu les rapports. J’ai relevé quelques idées qui m’apparaissent fortes.
J’ai noté que vous vous interrogiez d’abord sur la pertinence des échelons territoriaux. En fait, j’ai trouvé cela assez courageux. Je me suis dit , vont-ils aller jusqu’à proposer la suppression des départements en tant que collectivités locales ou vont-ils aller jusqu’à supprimer un échelon, peut-être celui-là ou peut-être un autre. Vous savez que c’est un sujet tabou. Vous savez que la commune est un fondement de la culture de notre République; mais il
est vrai que ce n’est pas forcément inintéressant que des gens comme vous se posent la question…
Quels sont donc les échelons pertinents ?
L’Etat a lancé récemment des règles du jeu par l’instauration des schémas directeurs . Evidemment, je donne un élément de réponse et des pistes qui m’apparaissent claires : Il y a l’idée du district rural, du district urbain, des communautés de communes, des com- munautés de villes; vous savez qu’aujourd’hui il y a de plus en plus de districts qui se font dans le milieu rural. Je vais parler un petit peu du milieu rural parce que vous avez été très branchés sur la ville, en fait, et que cette question a été un peu oubliée.
Un certain nombre de villages, et les exemples sont nombreux dans le territoire mais on en parle peu, considèrent qu’ils ont droit en quelque sorte, à l’échelle de 20 ou 40 000 habitants, à autant de services qu’une ville . Toute la question est donc: comment organiser le territoire, pour que les citoyens, y compris dans ces milieux très dispersés du territoire français, puissent avoir accès à ces services et que ces services, y compris les services de l’Etat, tels que postes, perceptions, etc continuent à exister ou puissent exister. Je trouve que c’est cela d’abord faire de l’aménagement et c’est une vraie question parce que la tendance est à la métropolisation, à la ville-territoire. Je ne pense pas que ce soit inéluctable. Je ne pense pas que ce soit souhaitable ensuite. Un travail sur cette question permettrait de faire réfléchir ensemble justement les gens qui travaillent sur l’aménagement et l’urbanisme et les gens qui travaillent sur le patrimoine. Parce que la métropolisation veut dire deux choses parallèles et concommittantes. D’une part, la désertification des villages et d’autre part, l’accroissement des banlieues avec tous les problèmes que cela pose. Alors, c’est un peu schématique, mais je trouve qu’il y a là une concommittance dans le temps et dans des espaces complémentaires de phénomènes qui sont dangereux à terme.
On peut à juste titre se demander pourquoi il y a cette métropolisation ? Parce que justement la ville offre les services qui existent de moins en moins dans les petits bourgs. Donc, toute la question de l’aménagement du territoire, c’est : comment réorganiser le milieu rural pour que chaque citoyen puisse à un quart d’heure, à dix minutes, bénéficier de l’ensemble des services qu’il pourrait avoir dans une Ville.
Je voulais soulever cette idée parce que j’ai eu l’impression de la lire dans les documents préalables sans les retrouver dans les débats.
La légitimité de l’Etat
Dans tout cela.J’ai entendu le mot “modestie”. Je ne crois pas que l’Etat doive être modeste, au contraire. Peut-être parce que je suis architecte-conseil du ministère, je pense que le rôle de l’Etat est fondamental en matière d’aménagement, en tous cas, pour déterminer les règles du jeu et ensuite pour garantir qu’elles sont effectivement appliquées, ce qui n’est pas simple. Enfin, il faut créer les conditions pour que l’on sache de quoi l’on parle, pour que l’on connaisse le degré de gravité d’une question ou la pertinence d’une étude, ce qui nécessite le développement de la recherche. C’est dans la mesure où une société connaît ou sait ce qu’elle va décider de transmettre ou de ne pas transmettre qu’elle est responsable. Tant qu’on n’a pas la connaissance de son patrimoine naturel ou bâti - je parle d’une connaissance précise, profonde, avec tout ce que cela implique, aussi bien d’un point de vue historique,qu’économique, voire politique, on ne peut sérieusement décider en matière d’aménagement.
Il y a en outre, une difficulté aujourd’hui, dont nous sommes conscients, c’est que l’on ne sait pas fabriquer de la ville ; on ne sait plus. Alors, vous vous êtes interrogés là-dessus et vous avez bien raison ; la ville se reconstruit sur elle-même, c’est clair. Donc, l’aspect patrimonial est fondamental et même fondateur. Mais aujourd’hui on constate une espèce de juxtaposition d’interventions de spécialistes successifs. Je crois que là encore l’Etat a un rôle dans la détermination des règles du jeu, peur ne pas amplifier cette hyperspécialisation des professionnels. Je trouve cela extrêmement dangereux quand on fait d’abord travailler un économiste, ensuite un urbaniste, pour consulter ensuite peut-être un architecte pour faire une image, ensuite on va demander à un paysagiste de venir dessiner une place, ensuite… enfin, c’est complètement fou, et je ne parle pas de l’ingénieur qui lui va travailler sur les réseaux, et sur le problème des flux . D’un seul coup on se rend compte que ça ne fonctionnera plus. On arrive à des choses complètement folles. C’est vrai que la ville est complexe, c’est vrai que ce n’est pas un individu qui va maîtriser l’ensemble -c’est pour cela d’ailleurs qu’on n’y arrive pas- mais en même temps, je ne crois pas que la solution soit la juxtaposition ou la succession dans le temps et dans l’espace de spécialistes.
Je crois que la ville est à réinventer . Il faut aussi dire cela clairement. Elle est différente parce qu’aujourd’hui il y a l’automobile, la vitesse et qu’on passe de 140 à l’heure à la vitesse du piéton. C’est un phénomène nouveau et finalement très récent.
Ensuite, et c’est le dernier point il y a une chose qui me paraît aussi importante et qui est, je crois, nouvelle aussi. On commence à avoir des projets pour le vide. Jusqu’à présent lorsque l’on a fait de l’aménagement, on a défini des villes nouvelles. La ville pour moi c’est un plein, c’est-à-dire qu’on a décidé là où on mettait des pleins. A l’échelon de l’aménagement du territoire, c’était comme ça. À l’échelon de l’urbanisme, c’était aussi comme ça. On définissait les zones constructibles et il V avait les espaces résiduels qui étaient des espaces non construits, classés ou pas, agricoles où non. Aujourd’hui, on à réinventé, on est en train de réinventer le projet sur le vide. Et je trouve important qu’il y ait, parallèlement au projet sur le plein , un projet sur le vide.